Galerie Richard

Ron GORCHOV, Alain KIRILI - Celebration de la main: l'art de Ron Gorchov et Alain Kirili

Communiqué de presse

Galerie Richard est heureuse de présenter une exposition réunissant Ron Gorchov et Alain Kirili du 19 octobre au 30 décembre 2009. Cette exposition célèbre une longue amitié entre les deux artistes, depuis que Kirili s’est installé à New York dans les années 70, mais aussi une grande connivence artistique entre un peintre et un sculpteur. Tous deux sont des artistes abstraits qui atteignent une forme de simplicité organique et pour lesquels la trace du geste de l’artiste est signifiante. Leurs œuvres possèdent  un rapport tactile et sensuel qui traduit un rapport au corps comme référent.

On peut être surpris de parler de rapport tactile et sensuel à propos de peinture. Cela tient d’une part aux formes doucement incurvées de la toile tendue sur des châssis en bois courbes. Cela est dû aussi à la pratique picturale : la pose d’une peinture très liquide, les effets de superposition des couches, les traces de gros pinceaux, l’aspect brut des bordures d’où apparaît la toile, les formes simples et douces centrées dans la peinture… Ron Gorchov insère des formes abstraites similaires dans des espaces courbes différents. Plus le tableau est petit, plus la courbure est forte. Ron Gorchov en inventant les châssis courbes dans les années 60 a fait entrer la peinture dans l’espace tridimensionnel sans effets d’illusionnisme et a révolutionné ce médium. Depuis plus de quarante ans, Ron Gorchov expérimente esthétiquement en précurseur l’insertion de formes et de textures dans ses espaces courbes. Son jeu entre la profondeur réelle de la toile et les effets illusionnistes de la peinture nous offre des expériences et des plaisirs visuels inédits. Dans  la peinture Martha, la couleur de fond est un mélange de blanc et de vert, et sur la partie droite, le vert, couleur plus foncée domine largement. Cette peinture était exposée dans une pièce où la lumière naturelle provenait de la gauche. À distance, il était fort difficile de savoir si la partie droite du tableau  était une ombre ou une teinte peinte en plus foncé. La peinture et la sculpture renforçaient leurs effets visuels. Par contre dans la grande peinture Café Serin dans laquelle une forme cerclée jaune pâle centrée se détache d’un fond bleu sombre, la partie intérieure dans le cerclage est d’un bleu plus clair. Il en résulte un effet optique pictural qui donne de la profondeur à la partie bleu pâle, la repousse, alors même qu’elle se positionne à l‘avant de la peinture dans l’espace réel. Les deux effets pictural et sculptural s’opposent et il est intéressant à noter que l’effet visuel de la peinture l’emporte sur la réalité sculpturale.

Alain Kirili a eu l’initiative de ce dialogue entre ses œuvres et celles de Ron Gorchov. Il manifeste une fois de plus son goût pour les rencontres et échanges artistiques, que ce soit avec des artistes plasticiens ou des musiciens danseurs… Cela traduit également son engagement intellectuel qu’il a toujours mené pour une meilleure reconnaissance d’artistes qu’il estime au plus haut point.  Ces dernières années, les œuvres d’Alain Kirili tendent vers une grande simplicité organique et une grande légèreté. L’artiste présentera trois séries de sculptures ainsi que des dessins : des terres cuites de la série Adamah, des sculptures en fer forgé de la série Equivalences et de la série  Funambule. Les sculptures  Equivalences tiennent leur titre au fait qu’elles peuvent être librement positionnées de trois façons différentes. Ces sont des formes géométriques « minimales »  assemblées avec une grande originalité qui trouvent toujours trois états d’équilibre. Ces oeuvres impliquent des notions de déplacement, d’improvisation, de précarité et de légèreté. Cette démarche est poussée plus loin et ces qualificatifs s’appliquent d’autant plus aux toutes nouvelles œuvres Funambule. Ce titre renvoie pour Kirili au livre de Jean Genet qui traite de l’éthique du risque dans la création. Ce sont des ensembles de barres verticales avec des alternances de fers forgés brut et de fers forgés peints posés contre un mur avec des espacements différents développant un rythme unique. Le métal est martelé de telle sorte que la matière semble avoir été malaxée par la paume de la main. La sensualité, le corps, la chair imprègnent les œuvres, même lorsque Kirili va aussi loin dans l’épure. Sur ces barres en fer posées au mur, Carter Ratcliff ajoute qu’ « Elles sont toutes libres de tomber et, dans cette liberté, on entend un écho de paroles existentialistes sur la nature précaire de la vie. Bien sûr, l’Existentialisme avait l’air sombre – une philosophie de l’angoisse. Si les sculptures Funambule expriment de l’angoisse, c’est une angoisse qui se métamorphose en joie du fait de la clarté pure de leur forme, de leur situation, et effectivement, de leur signification (1).

 (1) Carter Ratcliff : Célébration de la main : l’art de Ron Gorchov et d’Alain Kirili ; brochure publiée par la Galerie Jean-Luc & Takako Richard à l’occasion de l’exposition ; texte en français et anglais.

 

La « Célébration de la main » voilà ce que proposent deux artistes à la Galerie Jean-Luc et Takako Richard jusqu’au 30 décembre 2009. Si Alain Kirili et Ron Gorchov font tous deux l’éloge la main, et il le font chacun à leur manière, l’un en sculpteur et l’autre en peintre.

L’artiste français, qui vit et travaille à New York et à Paris, montre que sa main possède plus d’un savoir faire. Sont répartis dans l’exposition des sculptures en fer forgé, des terres modelées, des dessins sur calque et des peintures (gouache, aquarelle, encre) sur papier. Quelle que soit la technique choisie, l’artiste a l’ambition, et il y réussit, de travailler l’espace en faisant confronter les pleins et les vides. Autre caractéristique d’emblée repérable, l’énergie mise en œuvre. Une vidéo montrant l’artiste au travail le confirme[1]. Il faut déployer une belle énergie pour jeter, comme il le fait, une terre dans une autre avant de l’y enserrer. Force et dynamisme sont nécessaires pour marteler le fer à la masse[2]. Même dessiner gestuellement sur un papier demande la mobilisation de la puissance contenue dans le corps de l’artiste. Si le corps se laisse emporter par la force et la répétition des gestes, le jugement critique reste présent, l’esprit veille et contrôle le résultat.

Sans être essentielle aux sculptures, la couleur ne manque pas. Certains fers sont peints en blanc, d’autres s’habillent de rouge. Dans ces blocs événement en terre, l’ocre rouge se glisse dans le gris, le vert se laisse enfermer par le brun. Le visiteur apprécie la diversité des approches, son regard avide peut, soit se perdre dans les enfoncements aménagés dans les blocs de terre, soit rebondir multiplement sur les facettes des fers martelés.L’utilisation du martelage en sculpture n’est pas si fréquente. Il y a dans ces créations une volonté de défaire le fer de sa forme industrielle impersonnelle pour en faire un signe d’homme. Les titres donnés à certaines pièces le confirment: Adam I, Adam II. Les marques en creux résultant du martelage sont à la fois des lieux d’accueil du regard du visiteur et des concavités qui renvoient celui-ci dans de multiples directions. Cette caractéristique (le renvoi du regard) demande au spectateur de se questionner sur la fonction scopique dans l’appréhension d’une sculpture. Voir, même en tournant autour des pièces, ne suffit pas. Devant de telles œuvres il y a lieu de convoquer d’autres sens et c’est ce que l’on éprouve ici.

Alain Kirili réussit à donner à chacune de ses sculptures des qualités non seulement visuelles mais aussi tactiles. Cette capacité de l’artiste à penser le visuel à partir du tactile, se manifeste particulièrement dans les œuvres modelées. Les pièces en terre sont des réceptacles des forces. Le spectateur ressent la pression des paumes et distingue les enfoncements des doigts. L’apparente jouissance de l’œuvre martyrisée l’intrigue, il se questionne sur la scène initiale. Quel accident originel a provoqué des métamorphoses aussi sensuelles ? L’œuvre, cette grande muette, n’apporte pas de réponses ; elles appartiennent bien sûr à chacun.

Les sculptures d’Alain Kirili, plus que toutes autres, développent autour d’elles un espace attentionnel. L’espace de l’emplacement où elles sont posées n’est plus neutre, il devient un lieu de forces[3]. Ces sculptures en fer forgé sont des appels à rencontres. Ces rencontres de l’autre passent par l’œil, il s’agit bien d’un art visuel mais aussi, et cela est plus rare, par l’activation des perceptions corporelles du visiteur. Ces sculptures sont des appels à d’autres corps. Comme le montre la vidéo sur l’artiste, occasionnellement, il invite des danseurs à confronter la plasticité de leurs corps avec ses œuvres ou bien d’autre fois des musiciens de jazz les enveloppent, durant un temps, de leurs sons syncopés[4]. Ces moments d’accomplissement du contact avec les œuvres renvoient aux temps de la genèse des celles-ci. Bien que ces productions plastiques (fers, terres, dessins) soient muettes et se contemplent habituellement en silence, leur genèse fut accompagnée de bruits spécifiques allant du bruissement du fusain à la résonance rythmée du fer que l’on frappe en passant par les bruits sourds d’une terre qu’un geste énergique frappe sur une autre. On peut encore entendre ici les grondements sourds et contenus des terres que rappellent leurs titres : A-da-mah, A-da-mah, A-da-mah … et  là les cris élancés, brefs et puissants des fers au moment du martèlement. Comme le disait encore récemment Tom Mitchell :« la vision pure se rattache en elle-même à l’ensemble du sensorium et en particulier au sens tactile »[5]. Cette multi-sensorialité facilite les transpositions. Comme pour le danseur, qui après coup « interprète » la sculpture en improvisant ses mouvements, les gestes du plasticien créateur, ceux du bras, de la main et aussi ceux des jambes avec des appuis alternés trouvent leurs forces dans un point nodal situé quelque part au milieu du dos. C’est là que ça fait mal. La reconnaissance de cette exquise douleur permet au créateur d’espérer inscrire dans l’œuvre une authenticité qui peut devenir source d’une jouissance aiguë pour le spectateur sensible.

Kirili est un homme de feu. Que ce soit lorsqu’il parle ou lorsqu’il crée, il y a toujours quelque chose qui flamboie chez lui. Cela se retrouve dans les actes générateurs d’œuvres. Le fer connaît le feu de la forge avant de prendre forme, les terres trouveront leur résistance et leur finale présence après cuisson, quant aux œuvres sur papier ou sur calque l’instrument principal de leur genèse est un bois brûlé, un fusain.

Cet artiste n’est  pas un sculpteur qui enlève, il préfère ajouter. Une terre vient s’enchâsser dans une autre (Adamah IX, 2008). Après façonnage chaque fer tend à s’associer à un partenaire. La réunion peut être fonctionnelle lorsqu’une terre façonnée sert de socle (Adam I, 2009) ou qu’un autre fer permet de multiplier les points d’assise (comme pour Equivalences IX, 2009) mais la mise en relation peut répondre aussi à un souci esthétique. Ainsi la simple juxtaposition des sept barres de fer (Funambule VII, 2008), posées en parallèle entre sol et mur, s’avère très efficace.

Des traces encore : les matériaux terre et fer ont conservés les traces des actions humaines, elles sont les mémoires d’actions, d’actions faites de main d’homme dans un autre temps. L’un des attraits de la photographie est la fixation d’un temps par un rayon de lumière. Ces œuvres, que l’on pourrait nommer chirographiques[6], sont intrigantes en raison de ce temps contenu scellé à jamais dans la matière là où l’artiste l’a voulu. Pourquoi avoir creusé là et pas juste avant ? Simplement parce que cela correspond au « sens ressenti » par sculpteur à un moment donné. Il installe ainsi un arrêt, un arrêt volontaire, un achèvement dans le non-fini. Comme Giacometti auquel il fait référence, Alain Kirili se garde bien d’achever. Il évite le lisse autant que l’arrêt du parcours de l’œil. Le regard ne glisse pas sur ses sculptures, il rebondit et, sur la longue tige de Forge 1 (2008), le sentiment de reprise, et encore de reprise, d’un presque même se rapproche du mouvement d’élévation éprouvé devant la colonne sans fin de Brancusi.

L’infini sculptural voilà sans doute la quête poursuivie par Alain Kirili depuis tant d’années.

Bien qu’abstraites les peintures de Ron Gorchov gardent le corps comme référence. Elles confortent leur présence en tant qu’objet-corps par l’existence d’un châssis qui ne se cache pas sa fabrication artisanale. Celui-ci du fait de son épaisseur (entre 14 et 38 cm) et de ses formes concaves et convexes s’affirme comme de support de présentation d’une toile de lin peinte, simplement agrafée au pourtour. Sur cette peinture qui fait face, des figures abstraites colorées ont été peintes par paires. Deux considérations spatiales s’opposent donc : de face on se laisse prendre par les effets de spatialité illusoire des éléments peints, de côté la réalité volumique singulière de la structure support attire l’attention. On se rend bien compte que pour Ron Gorchov il importe, en prolongeant l’aventure du Shaped Canvas, de bousculer les traditions : la surface d’une peinture n’est pas nécessairement rectangulaire — ici tous les coins sont arrondis — et elle ne mime pas obligatoirement la planéité du mur sur lequel elle est accrochée. Ces non-tableaux[7] acquièrent dans l’espace d’exposition une présence, une présence de pseudo personne, sur laquelle vient buter le regard.

Les toiles sont peintes à l’huile par passages successifs de couleurs. Un subtil équilibre est trouvé entre la faible charge de matière picturale — celle-ci du fait de la transparence laisse visible la toile sous-jacente — et l’intensité des couleurs. Des jaunes, des rouges, des bleus, toujours soutenus sans être vifs, s’accorent à des terres sombres. Au centre, comme sur les bords, les traces d’effectuation se donnent à voir. Chez Gorchov les subtilités plastiques se logent dans les limites, dans les limites des formes comme celles de la toile posée sur le châssis.  Pour chaque teinte, les traces visibles du pinceau marquent d’infimes différences de tons. Chaque tableau ne présentant qu’une seule figure, elle-même constituée à partir d’un nombre réduit de formes peintes, entre deux  et quatre. Dans cette raréfaction des marques, tous ces légers écarts acquièrent une valeur accrue. Comme savent très bien le faire certains peintres, on pense à Marc Rothko, l’installation de variations infimes s’avère source de grands plaisirs. Ici cependant les faits plastiques donnés à voir ont été déchargés de toute métaphysique. Ce sont des faits visuels, rien n’importe vraiment au-delà de ça. Ces œuvres déroutent parce qu’elles sont ininterprétables. L’objet n’est plus une peinture (toile sur châssis) sans devenir pour autant autre chose, comme un bouclier. Les figures peintes sur les toiles agrafées sont intermédiaires entre les représentations allusives humaines ou architecturales. Leur centralité ferait penser à des visages, leurs silhouettes peuvent évoquer des fantômes d’acteurs évoluant sur une scène ; les portiques un peu instables, aperçus dans d’autres œuvres, ne seraient peut-être que des décors. La réalisation de ces « images » semble n’avoir mobilisé aucun affect. C’est peint, ni bien ni mal peint, simplement peint de la main de l’homme. Ces non-tableaux accueillent des figures arrêtées dans un état intermédiaire. L’artiste a évité de les parfaire pour leur éviter de mourir.

Alain Kirili a invité Ron Gorchov à se joindre à lui pour cette exposition en raison d’une longue amitié et aussi des parentés comme des différences qui se manifestent dans leurs créations. Le sculpteur, même s’il produit des dessins qui sont précisément des dessins de sculpteur, invite le peintre à occuper les murs d’une galerie en même temps que lui. Un artiste sensuel et prolifique accueille un aîné discret et réservé. L’un comme l’autre travaillent dans la franchise. Leurs œuvres ne sont ni des trompe-l’œil, ni des trompe-esprit. Les choses montrées sont ce quelles sont. Des tiges de fer et des blocs de terre d’un côté et un objet peinture sur lequel sont posées des couleurs de l’autre. L’autre caractéristique essentielle est annoncée par le titre de cette exposition, rappelons-le  « célébration de la main ». Même si, comme nous l’avons vu, les choses n’en restent pas là et conduisent à d’autres célébrations comme celles des autres sens et surtout de l’esprit, ici tout est fait de main d’homme et s’affirme comme tel. Rien de ce qui singularise ce genre de création ne manque : la facture inventive, les qualités sensibles des pièces, la diversité des résultats. Ces œuvres, sans images littérales mais pas sans formes évocatrices, ouvrent sur des imaginaires multiples. Qu’elles soient vives ou tranquilles, les forces installées vont, à partir du tactile, à rencontre d’une sensibilité globale. C’est parce qu’elles ont été bien « touchées » que ces créations artistiques à leur tour nous touchent.

[1] Alain Kirili, sculpteur de tous les éléments de Sandra Paugam, sur une idée de Jean-Paul Fargier, réalisé dans le cadre de la collection « À contre-temps », Groupe Galactica.

[2] Même si la pression exercée peut être celle d’une machine, il faut bien tenir la barre de fer brut et la tenir fort.

[3] Certaines sculptures en fer forgé (celles portant la dénomination équivalences) peuvent être disposées de différentes manières : dressées verticales ou posées horizontalement, placées au centre d’un espace ou appuyées contre un mur. La vision change et les évocations suggérées aussi.

[4] Le titre d’une sculpture monumentale de Alain Kirili installée en 2007 à Paris, Espace Masséna, dans le 13e arrondissement, est Hommage à Charlie Parker.

[5] Tom Mitchell, in « Que veulent les images ? » interview croisée avec Jacques Rancière, conduite par Patrice Blouin, Maxime Boidy et Séphane Roth, Art press n° 362, p. 34.

[6] Mot construit sur le modèle de « photographique », ici les traces conservées ne sont plus celles provoquées la lumière mais celles laissées par l’action de la main de homme. Le mot  grec pour la main kheir a donné en français chiro.

[7] La non-planéité de ces œuvres ne les prédispose pas à être des tabula (des planches à écrire) et encore moins des surfaces sur lesquelles on peut poser des objets ou des mets (des tables). Aucune parenté avec le tableau d’affichage n’est voulue et l’artiste s’éloigne volontairement du tabliau.

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